Les exploitants forestiers de la province de Luxembourg tirent la sonnette d’alarme. Leurs entreprises pourraient bientôt mettre la clef sous le paillasson. En cause, la peste porcine et les ravages des scolytes.

Les bois et forêts de la province de Luxembourg représentent un milieu économique inestimable pour de nombreuses professions, dont les exploitants forestiers. Mais jusqu’à quand ? Depuis la crise de la peste porcine, les entreprises de bois se retrouvent dos au mur et ne parviennent plus à joindre les deux bouts.

Pour comprendre la situation, nous sommes allés à la rencontre de Jean-Louis Bodart, le directeur de Gaume Bois. Celui-ci nous a donné rendez-vous à Lahage, dans la commune de Tintigny, où sont situés les bois sur lesquels ils travaillent actuellement. Située à Lamorteau, dans la commune de Rouvroy, sa société avait les reins bien solides jusqu’au mois de septembre. Mais la détection de la peste porcine a tout remis en cause. « L’avenir de notre exploitation, qui représente une vingtaine de familles, dont la moitié en salarié et l’autre moitié en sous-traitants indépendants, est clairement mise en cause à cause de la peste porcine » nous explique Jean-Louis.

« Avant la peste porcine, la société était en très bonne santé financière. Maintenant, nous sommes en grande difficulté car entre le 14 septembre et le 15 octobre, nous n’avons pas pu travailler. Nous avons ensuite obtenu une dérogation pour reprendre notre activité, mais cela a été beaucoup de paperasse ».

Afin de subvenir aux besoins de trésorerie des exploitants forestiers, l’Office économique du Bois avait annoncé il y a quelques semaines qu’il interviendrait. Mais du côté de Gaume Bois, l’aide se fait toujours attendre. « On ne demande pas la lune : sur les deux millions d’euros de bois que l’on a acheté, on demande simplement une aide de 25%. On n’a pas touché le moindre euro. Or, nous avons des engagements financiers ».

Le chef d’entreprise ne veut pas pour autant lancer la pierre aux responsables politiques. « Les gens qui gèrent cette crise ont une réalité du terrain. Les décisions qui sont prises sont les bonnes. Par exemple, l’augmentation du quota de chasse des sangliers est une bonne idée car la population a augmentée de manière exponentielle. Les barrières autour de la zone contaminée ont aussi un impact mais les animaux ont un cerveau. Cela n’empêche pas tout » continue le responsable de Gaume Bois. « Le seul problème avec les responsables politiques, c’est qu’ils ne sont pas conscients des problèmes qu’ils créent avec leurs mesures. Depuis un mois et demi, on doit dépenser une énergie inimaginable.

« C’est une ouverture de parapluie en cascade : ce n’est la faute de personne »

Des enjeux financiers colossaux

Jean-Louis Bodart estime qu’un petit peu de bon sens pourrait permettre de débloquer une partie de la situation. Il reproche aux autorités de ne se baser que sur l’avis de 3 ou 4 experts européens, qui se sont occupés des cas de peste porcine en Tchéquie. Or, la maladie continue de se répandre dans toute l’Europe de l’est. Selon lui, ce comportement qui consiste à ne pas écouter les conseils des hommes de terrain pourrait avoir des conséquences fâcheuses.

Au printemps, les sangliers vont en effet avoir les premières portées et la maladie risque de se propager. Le temps presse et il est donc plus que temps de demander l’avis à ceux qui côtoient réellement les animaux. « Je ne suis pas un expert, je ne suis pas chasseur mais j’ai des connaissances. Il y a de nombreuses personnes qui ont l’expertise de la chasse et des idées qui ne sont pas mauvaises » détaille Jean-Louis, un peu résigné.

« La parole des experts font figure d’évangile. Or, les gens sur le terrain, comme les chasseurs, ont des solutions à proposer mais personne ne les écoute »

Si les responsables des entreprises de bois sont inquiets de la situation, c’est que les enjeux économiques sont énormes. « Si la maladie n’est pas éradiquée, cela peut mettre en péril notre activité mais aussi toute la filière porcine dans toute l’Europe. Les enjeux financiers sont tellement importants en cas de contamination que l’on doit prendre toutes les mesures. Comme nous sommes les seuls dans la région à travailler dans le bois, si la peste venait à se répandre, on pourrait être poursuivi pour propagation » avertit Jean-Louis.

Pour s’assurer que la peste porcine ne se répande pas dans les zones saines, la protection civile oblige désormais les exploitants forestiers à désinfecter leurs équipements et matériels. Une contrainte que Gaume Bois juge absolument nécessaire, mais dont il regrette la manière avec laquelle elle est imposée.  « On a suivi une formation d’une heure auprès de la protection civile pour apprendre comment désinfecter les machines. Mais ce n’est pas notre job ! Nos moyens pour nettoyer sont rudimentaires par rapport à ceux de la protection civile. Ce sont des heures que l’on va devoir passer à faire ça et pendant ce temps-là, on ne fait rien d’autre. Ce sont des dépenses financières supplémentaires dans une situation très difficile »

Pour Stéphane Bairin, chef d’unité adjoint à la protection civile, cette information et formation des exploitants forestiers est obligatoire. « C’est une mesure obligatoire car ils travaillent dans une zone tampon avec une dérogation. Donc ils sont susceptibles d’être présents dans des zones à risques. Ils doivent respecter des règles de bio-sécurité assez strictes » nous explique-t-il. « L’opération de désinfection est à réaliser quand ils quittent la zone pour aller dans une zone non contaminée ou dans une autre zone de la zone tampon assez distante. S’ils passent juste dans le bois à côté, ce n’est pas nécessaire ».

Exploitant forestier province du Luxembourg

Mais M. Bodart n’en démord pas. La désinfection dans les règles de l’art ne change rien à la donne en cas de contamination. « La DNF a des obligations de moyens mais pas de résultats ! Personne ne peut nous garantir à 100% que le virus ne sera plus sur nos machines et qu’on amènera pas la peste plus loin. Personne ne veut prendre la responsabilité de dire que les machines sont désinfectées » nous explique-t-il.

« Je ne suis donc pas très chaud pour déplacer les machines.  Avant que les machines ne quittent la zone, j’ai besoin de garanties solides car je ne veux pas être plus tard accusé d’être responsable ou co-responsable de la propagation de la maladie », continue Jean-Louis, qui doute fortement qu’une assurance prendra le risque d’assurer un cas comme le sien.

« Apparemment, les exploitants forestiers gaumais n’ont pas la même valeur qu’un autre habitant du pays. On doit se débrouiller tout seul alors qu’une des missions de la protection civile, c’est d’intervenir en cas de crise sanitaire »

La province de Luxembourg laissée pour compte ?

Lorsqu’on évoque l’avenir, l’exploitant forestier n’a pas beaucoup d’espoir. « Notre avenir est très incertain. On n’a aucune garantie de quand on touchera de l’argent. Et la maladie continue à se propager. Donc je suis inquiet face au phénomène. Et en plus, les scolytes (cet insecte dont les larves mangent le bois des épicéas) sont en train de bouffer tous les résineux en Gaume et si nous n’intervenons pas rapidement, cela va être la catastrophe au printemps. On parle beaucoup des paysages wallons, mais personne n’intervient pour les sauver ici en Gaume »

Une inquiétude bien légitime, puisque des sangliers contaminés ont été retrouvés à moins d’un 1km à vol d’oiseau des bois où travaillent actuellement Gaume Bois. La zone noyaux, où toute activité sont strictement interdite, risque donc d’être prochainement étendue jusqu’à cet endroit. « Et là, ce sera la fin des haricots car ça sera toute la zone ou j’ai mes 30.000m² de bois ».

Par rapport au virus, M. Bairin, l’agent de la protection civile, indique que le travail mené sur le terrain est pertinent et va dans le bon sens. « Le virus avance, c’est certain. Mais c’est prévu, il n’y a pas de surprises par rapport à ça. Mais toutes les mesures qui sont prises sont prises pour éviter que le virus continue de s’étendre. La destruction et le ramassage des carcasses est indispensable. Globalement, on arrive aux 500 carcasses ramassées. L’animal meurt rapidement, mais le virus reste actif plusieurs mois et peut contaminer d’autres animaux sains. C’est bien là tout le problème ».

« Bien avant l’arrivée de la peste porcine, il y avait une sensibilisation au DNF. Les vétérinaires étaient au courant. Il y avait une garde, une vigilance qui était en place. Une vigilance qui a permis de mettre en exergue la peste porcine. Donc tout est très bien organisé depuis très longtemps » conclut le responsable.

Et Jean-Louis Bodart de conclure :

« La Belgique, elle s’arrête à Gembloux. Ce qui est en-dessous, comme la province de Luxembourg, ça fait longtemps que ça représente très peu d’électeurs. On a toujours été laissé pour compte »

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